Pour effectuer le travail sur la donnée numérique, puis réaliser et publier les enquêtes journalistiques, l’ICIJ a instauré une organisation et une gestion d’équipes, des actions de pilotage, et un plan de communication dédiés.
Le travail sur la donnée numérique, la réalisation puis la publication des enquêtes journalistiques nécessitaient une organisation et un suivi rigoureux. La mobilisation de 378 journalistes requérait également une coordination stricte.
Ces tâches ont été prises en charge par l’ICIJ. Ce dernier a ainsi adopté une approche qui intégrait les principales composantes d’un projet. Il a pour cela mis en place une organisation et une gestion d’équipes, une action de pilotage, ainsi qu’un plan de communication dédiés.
Une démarche projet
Un projet est « un but que l’on se propose d’atteindre ». Dans un contexte professionnel, il s’agit d’un « processus unique, qui consiste en un ensemble d’activités coordonnées et maîtrisées comportant des dates de début et de fin, entrepris dans le but d’atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques, incluant des contraintes de délais, de coûts et de ressources ».
Si l’on se réfère à cette définition, l’organisation et la coordination du travail numérique et journalistique des Panama Papers suivent bien une démarche projet, dans laquelle l’ICIJ se positionne en chef global.
Ainsi, on y retrouve des activités coordonnées et organisées selon une série de tâches séquentielles : nettoyage, traitement, exploration, des données numériques ; vérification et recoupement des informations ; contact et interviews des protagonistes ; rédaction, mise en page et en ligne des articles…
L’organisation et la coordination du travail numérique et journalistique ont aussi comporté une date de début (celle du lancement du projet) et une date de fin (celle de la publication des enquêtes).
La viabilité du projet a de plus dépendu de contraintes endogènes et exogènes fortes. Les premières ont notamment été techniques (volume de données numériques à traiter et à exploiter…) et organisationnelles (nombre de journalistes, de cultures, de langues, répartis dans le monde entier…). Elles auraient pu compromettre la réussite de l’entreprise et mettre un terme au travail d’enquêtes et de publications.
Les secondes ont été entre autres la divulgation de l’existence du projet, qui aurait pu remettre en cause le travail d’enquêtes et de révélations ; les dangers auxquels les journalistes s’exposaient, et qui ont été confirmés par les assassinats des journalistes Daphne Caruana Galizia, qui participait au projet, et de Jan Kuciak ; et la révélation de l’identité du lanceur d’alerte, qui courait lui aussi le risque d’être emprisonné, voire assassiné, si son identité venait à être rendue publique.
Des équipes gérées en mode projet
L’ICIJ a également constitué des groupes de journalistes et d’experts des données numériques. Il les a ensuite gérés selon une méthodologie propre à la conduite d’équipes projet.
Une conduite d’équipes par étapes
L’approche mise en place s’apparente à la méthodologie proposée par Maders et Clet. Celle-ci compte six grandes étapes. Quatre d’entre elles, déployées par le Consortium, ressortent plus
particulièrement des témoignages des journalistes.
La première, est dite « d’observation » ; elle consiste en une prise de contact initiale entre les membres de l’équipe. Elle permet de créer des occasions de découverte, afin que les futurs co-équipiers
envisagent des collaborations. À cette occasion, l’ICIJ a organisé une première rencontre entre les membres de l’équipe projet, en juillet 2015 à Washington.
La phase de « cohésion » a pour but la formation du groupe. Ici, l’ICIJ a notamment initié un processus d’identification de l’équipe, qui a entre autre reposé sur l’attribution d’un nom au projet.
L’étape de « différenciation » met en évidence les talents individuels de chacun.
Là, le Consortium a défini des groupes de travail, en fonction des différentes expertises et spécialisations des membres de l’équipe projet. C’est également l’objectif de la réunion de Washington.
Durant la phase d’« organisation », le chef de projet établit une répartition des rôles. Il identifie les compétences nécessaires à la réussite du projet. Il distingue également les savoir-faire de chacun, et les met clairement en avant, en les présentant comme des spécialités supplémentaires pour le groupe.
Une gestion complexe d’acteurs multiples
Une équipe réunit bien souvent des acteurs d’expertises, de métiers, de cultures et d’horizons différents, dont les stratégies et les attentes divergentes peuvent ralentir, voire compromettre le projet.
Au sein des Panama Papers, le groupe d’intervenants comprenait tout d’abord des journalistes disséminés dans le monde entier, de langues et de cultures variées. De telles différences linguistiques sont bien souvent sources de malentendus, voire de conflits au sein de projets.
Les métiers des médias partenaires (presse écrite, audiovisuelle, Web) impliquaient par ailleurs des impératifs de parution et de diffusion distincts.
L’ICIJ a dû composer avec ceux-ci, notamment pour le choix de la date de publication, comme le relatent Bastian Obermayer et Frederik Obermaier.
Malgré ces défis, l’ICIJ a su canaliser ces attentes et stratégies, et ainsi porter le projet à son terme.
Un pilotage en mode projet
Une fois l’équipe recrutée, organisée et « briefée », le Consortium a instauré une démarche de pilotage de projet. Celle-ci comprenait essentiellement la définition et la mise en œuvre des activités de l’équipe : à travers une segmentation de celles-ci en plusieurs tâches. Ce pilotage incluait également un suivi de ces activités : via une planification qui comptait des jalons à atteindre, des livrables à fournir, ainsi que des processus de vérification et de validation.
Cette segmentation a ainsi rendu l’exploration et les enquêtes plus efficaces. Un autre ensemble d’opérations décidé par l’ICIJ a concerné la publication des enquêtes et des révélations : à l’exemple de la conception des « Power Players », qui a comporté une série de tâches segmentées, auxquelles Delphine Reuter a entre autres contribué.
Un planning, des jalons et des livrables – Pour être maîtrisé sur toute sa durée, le projet doit être réalisé selon un planning. Celui-ci détermine les délais de réalisation des activités et des objectifs à atteindre. Il compte des jalons, des livrables. Il s’appuie également sur des processus de vérification et de validation.
Une fois l’équipe recrutée, organisée et ‘briefée’, le Consortium a instauré une démarche de pilotage de projet.
Le projet des Panama Papers a compris une démarche de planification similaire : avec une date de lancement du projet, ainsi qu’une date de réalisation : celle des publications.
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Il a également inclus un certain nombre de jalons, qui ont marqué l’avancée du projet. Un jalon est un point ou un événement significatif d’un projet. Il permet de valider la façon avec laquelle ce dernier avance. Il sert aussi à revalider les travaux restants.
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Ainsi, les phases de travail sur les données numériques, d’enquêtes et de vérification des informations ont constitué certains de ces jalons. D’autres ont été la préparation et la rédaction des articles de presse papier, audiovisuelle et en ligne, ou encore la publication des enquêtes et des révélations.
Ces événements significatifs ont par ailleurs débouché sur l’achèvement d’un ou de plusieurs livrables. Un livrable est un résultat qui découle de l’achèvement d’une partie du projet (document, réalisation…) ou du projet lui-même.
En interne, il s’agissait entre autres de la base de données numériques destinée aux journalistes. Les livrables de type journalistique ont notamment été les informations sur les personnalités et les sociétés collectées à partir des listes fournies par l’ICIJ (elles-mêmes des livrables), ou encore les résultats des enquêtes.
Tandis que les livrables externes ont par exemple regroupé la publication des articles dans les médias papier et en ligne, l’application des « Power Players » ou encore la base de données sur le site de l’ICIJ.
Un processus de validation et de vérification
Dans un projet, le planning, les jalons et les livrables font l’objet d’un processus de vérification et de validation.
La vérification est un contrôle interne de conformité d’un produit ou d’un service, avec des exigences, et des spécifications imposées. Tandis que la validation est l’assurance qu’un produit ou un service satisfait aux besoins du client ou des parties prenantes identifiées.
Les modes de vérification mis en place par l’ICIJ ont par exemple été le fact-checking, ainsi que la vérification des informations par l’ONG et les journalistes.
La démarche de validation a elle notamment porté sur la relecture et la réécriture des articles avant leur publication.
Ceux-ci se sont conformés aux exigences du journalisme américain, comme l’explique Delphine Reuter, et au paradigme journalistique de l’ICIJ.
La démarche de validation a elle notamment porté sur la relecture et la réécriture des articles avant leur publication, comme le décrit Mar Cabra, dans un entretien.
Elle a été réalisée selon « les plus hauts standards d’équité et de précision ».
Un plan de gestion de la communication
L’ICIJ a enfin déployé une démarche de communication, avec un plan de management dédié. Ce document décrit les besoins et les attentes dans ce domaine, les modalités, formats et médias utilisés,
les dates, heures et lieux de diffusion, les personnes responsables…. Il est inclus dans le plan de management global du projet.
En interne, l’organisation des réunions et des téléconférences ont été gérées par l’ONG selon un tel plan. Tout comme la mise en place de la plateforme d’échanges et de communications entre journalistes, iHub.
Grâce à cette démarche de gestion de la communication, l’ICIJ a pu ainsi coordonner et diriger la publication simultanée des révélations à l’échelle mondiale, sans télescopage des informations.
Et pour répondre aux attentes et aux besoins des équipes projet, le Consortium a rédigé des mémos à leur intention, comme l’explique Maxime Vaudano.
Vers l’extérieur, l’organisation et le timing des publications (enquêtes et révélations, manifeste du lanceur d’alerte, base de données des Panama Papers…), et de tout le volet post-projet (interviews média, interventions, dans les universités et dans les colloques, de l’ICIJ et des journalistes partenaires…) ont été gérés selon un plan de communication.
Grâce à cette démarche de gestion de la communication, l’ICIJ a pu ainsi coordonner et diriger la publication simultanée des révélations à l’échelle mondiale, sans télescopage des informations.
Tout comme il a pu organiser le feuilletonnage des révélations sur plusieurs semaines. Ou encore planifier la publication du manifeste du lanceur d’alerte, puis de la base de données.
La mise en place par l’ICIJ d’une triple démarche numérique, collaborative et projet a permis le traitement, l’exploration et l’analyse de ces 2.600 gigaoctets de données, puis la publication d’enquêtes et de révélations, par 378 journalistes, et dans un temps relativement court : environ 18 mois.
Avec ce projet, le Consortium a démontré le professionnalisme de son paradigme journalistique.
Sans toutefois avoir été nouveaux, ces trois modes opératoires ont, semble-t-il, été menés de façon plus mature que lors des fuites précédentes.
Pour Cécile S. Galego en effet, les Panama Papers n’ont pas marqué de rupture dans la démarche projet de l’ICIJ qui existe depuis une vingtaine d’années. Mais ce dernier a su capitaliser sur ses expériences.
Avec ce projet, le Consortium a de même réussi à démontrer le professionnalisme de son paradigme journalistique. Il a su prouver que le volume massif et les formats des données numériques, le nombre de journalistes impliqués n’étaient plus des obstacles au travail d’investigation journalistique. Tout comme le caractère transfrontalier des pratiques illégales et criminelles.
Plus important encore, le projet a constitué un tournant pour les rédactions partenaires. Face à des grands volumes de données numériques, celles-ci ont en effet appris à opérer de manière autonome et à innover.
Le projet a enfin confirmé la nécessité de mettre en place des procédures de sécurisation des données, des outils et des communications.
Elles se sont réorganisées en conséquence. Elles ont débloqué des budgets et ont intégré des experts data dans leurs cellules d’investigation.
Elles ont repris à leur compte les pratiques et les outils mis en place par l’ICIJ. Tandis qu’en termes de collaboration, elles ont su mutualiser leur travail et leurs découvertes avec d’autres rédactions.
Le projet a enfin confirmé la nécessité de mettre en place des procédures de sécurisation des données, des outils et des communications. Un impératif dont la plupart des journalistes n’avaient jusque-là pas pleinement conscience.
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