Verra-t-on bientôt des casquettes de baseball aux marques et logos « COVID » ? Voire même des T-shirts, des sacs ou encore des lunettes ?

Les premières demandes d’enregistrement du nom – seul ou associé à un numéro, voire un autre terme – pullulent depuis février dernier déjà.

Depuis début février, une soixantaine de marques en attente d’autorisation ont été déposées dans le monde entier, auprès d’offices de la propriété intellectuelle. Et pas que pour des produits médicaux destinés au virus uniquement ! Mais aussi pour des vêtements, des sacs, des boissons…

Cette pandémie commerciale s’est d’abord déclarée aux Etats-Unis, avec les vaccins « COVID-19-VAX ». Elle a ensuite touché le Benelux, l’UE, le Royaume-Uni, le Canada, la Turquie, la Corée du Sud, l’Argentine…

Une société peut-elle ainsi utiliser le nom d’une maladie à coronavirus, pour vendre ses produits et services ? Surtout quand l’épidémie a déjà fait plus de 30.000 morts à l’échelle planétaire, et continue actuellement à faire des ravages.

Laure Chemla est avocate spécialisée en Droit de la Propriété Intellectuelle et la protection des données personnelles au sein du cabinet d’avocats international CMS. Pour elle, s’approprier ces dénominations à des fins de marketing, c’est détourner le droit des marques de sa vocation de protéger le consommateur. Donc, déontologiquement difficilement défendable.

Laure Chemla, quelle est la vocation première d’une marque ?

« Une marque c’est tout d’abord un droit privatif, sur un nom ou un logo, qu’une entreprise dépose auprès d’un office de la propriété intellectuelle, dans le but d’empêcher son utilisation par une autre société.

Par exemple, je ne peux pas commercialiser des T-shirts avec le nom « Nike », car la marque a déjà été enregistrée sous cette dénomination.

Une marque sert donc à identifier un produit ou un service. Elle doit permettre au public de rattacher ces derniers à une entreprise déterminée.

Une marque c’est tout d’abord un droit privatif, sur un nom ou un logo.

Dans le cas du « COVID », il s’agit ici de se poser la question, et de savoir si une personne ou une entreprise peuvent s’octroyer le monopole sur le nom.

Les offices nationaux de la propriété intellectuelle (OPI), comme le BOIP au niveau du Benelux, sont chargés de recevoir et d’enregistrer les demandes de dépôts de marques.

Sur quelles considérations se basent-ils pour l’enregistrement d’une marque ?

Ils prennent en compte un certain nombre de considérations de forme et de fond, et notamment trois grands critères préliminaires.

Tout d’abord, le nom ou le logo ne doivent pas avoir été préalablement déposés et commercialisés. Ils doivent donc être disponibles. Ensuite, le nom et le logo doivent être distinctifs : ils ne doivent pas décrire la nature ou la qualité du produit ou du service en question.

Aussi, des termes comme « Eau », « Robe », etc. ne peuvent pas être protégés par une entreprise (de parfums ou de cosmétiques par exemple), et donc monopolisés pour les besoins de son activité commerciale. Enfin, le nom ou le logo ne doivent pas être contraires à l’ordre public ou porter atteinte aux bonnes mœurs.

Dans ses articles 2.2 et suivants, la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), dresse une liste exaustive des motifs de refus ou de nullité de l’enregistrement d’une marque.

L’enregistrement de la marque est valable pour quelle durée et sur quel territoire ?

La marque est protégée durant dix ans. L’enregistrement peut ensuite être renouvelé de manière illimitée pour de nouvelles périodes de dix ans. Seule condition : l’activité doit être lancée dans les cinq ans à partir du dépôt de la marque. Au-delà, un tiers, qui souhaite utiliser le nom, peut effectuer une action en annulation auprès de l’office où la marque a été enregistrée,

L’enregistrement est également limité géographiquement : à savoir au territoire sur lequel l’entreprise souhaite protéger sa marque : au niveau national (BOIP, pour le Benelux), de l’Union européenne (EUIPO), ou mondial (OMPI).

Peut-on alors considérer « COVID » comme un nom distinctif ?

Je ne suis pas sûre. Aujourd’hui, le terme est avant tout associé à une pandémie mondiale. Difficile donc pour le public et le consommateur de l’assimiler à une marque ou à une entreprise commerciale.

Au niveau de la distinctivité, je ne suis pas sûre qu’on puisse autoriser un acteur à capter ce terme, afin d’empêcher tous les autres de l’utiliser.

Par ailleurs, comme il s’agit d’une maladie grave et mortelle, il y a des principes éthiques et moraux à observer. Aussi, on pourrait considérer que l’utilisation d’un terme décrivant cette épidémie n’est pas respectueuse de l’ordre public, ni de la morale.

Il existe ainsi de nombreux précédents : la demande d’enregistrement du nom et logo « Je suis Charlie » avait été rejetée selon le principe de la distinctivité, car ils ne pouvaient être utilisés par un seul acteur économique. Le slogan de solidarité « Pray for Paris » a lui aussi été refusé, cette fois pour atteinte à l’ordre public.

Les groupes de rock pourront reprendre le nom ou le logo du virus plus facilement à leur compte.

Toutefois, des contre-exemples existent : en 2011, l’EUIPO avait considéré que le sigle « H1N1 » pouvait être enregistré pour des vêtements. Une société italienne avait ainsi été autorisée à utiliser le nom, certes sous une forme légèrement stylisée, pour des vêtements, des chaussures, des chapeaux, des bijoux et des lunettes.

Une autre société italienne a cette fois déposé une demande d’enregistrement accélérée pour la marque « COVID-19 SURVIVOR », auprès du BOIP. Celui-ci a émis une notification provisoire de refus à l’encontre de la demande d’enregistrement. La raison n’a pas été spécifiée. Mais on peut se douter que s’il a préalablement refusé cette demande d’enregistrement, il refusera les autres.

Cela me paraît compliqué. Même s’il s’agit de produits médicaux destinés à prévenir et soigner l’épidémie. Ici en effet, il existe un lien direct entre le nom du virus, et les médicaments, les masques et les produits sanitaires utilisés pour combattre ce même virus. Cela ne m’étonnerait donc pas que la demande essuie un refus.

Un masque ou un vaccin peuvent-ils porter la marque « COVID » ?

Toutefois, comme pour le « H1N1 », les dépôts de marques pour des T-shirts, lunettes et autres chaussettes devraient avoir plus de chance d’être acceptés. Et ce sera à chaque office de la propriété intellectuelle de décider au cas par cas de l’autoriser ou non.

Un groupe de rock par exemple, peut-il reprendre le nom et le logo ?

Idem pour les groupes de rock : ils pourront reprendre le nom ou le logo du virus d’autant plus facilement à leur compte, que la musique n’a aucun lien direct avec un quelconque produit ou service directement lié au virus.

Si le critère de la distinctivité peut être dans ce cas écarté, il faudra néanmoins se poser la question de la compatibilité avec l’ordre public et les bonnes mœurs.

Si « COVID » venait à être enregistrée comme marque au Benelux ou dans l’EU, une personne physique ou morale, voire le ministère public pourrait toujours intenter une action en annulation pour nullité, en faisant valoir que celle-ci ne respecte pas la distinctivité ou est non-conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

L’enregistrement des termes « COVID » et « COVID 19 » en tant que marques devrait être refusé.

Qu’en est-il des personnages de fiction d’un livre, d’un film, d’un jeu ?

Là, je pourrais nommer mon personnage de fiction « COVID », qu’il s’agisse d’un livre, d’un film ou d’un jeu. Car nous ne sommes plus dans le droit des marques, mais plutôt dans le domaine du copyright.

Mais si la marque existait déjà en tant que telle, son propriétaire devrait alors prouver que l’auteur de l’œuvre cherche à le concurrencer ou à tirer profit indûment de la marque.

Et sur le Web ?

« COVID » peut être utilisé pour un nom de domaine. Car contrairement aux marques, il n’existe à ce jour aucune législation sur le sujet. Le premier arrivé est le premier servi. D’ailleurs, certains ont déjà enregistré le nom de domaine, sous différentes extensions (.be, .fr, .com…).

Selon vous, la marque « COVID » a-t-elle une chance d’être enregistrée un jour ?

L’enregistrement en tant que marques des termes « COVID » et « COVID 19 » devrait être refusé, car c’est détourner le droit des marques à des fins de marketing. C’est aussi contraire à la vocation et à l’esprit des marques, qui est de rassurer et de protéger les consommateurs.

Je trouve cela dommage et honteux que dans la situation actuelle des gens trouvent encore le temps et l’énergie de détourner le droit des marques, pour un objectif marketing « one shot » et finalement à très court terme.

Cependant, ce que je trouve plus grave encore, c’est quand la démarche émane de professionnels de la santé, qui utilisent de telles marques pour commercialiser des masques, des vaccins ou des médicaments.

Outre la crédibilité même de l’entreprise, on touche à des considérations déontologiques. Ce serait donc plus que surprenant, voire incompréhensible, qu’une une société du secteur de la santé parvienne à enregistrer la marque « COVID ».

Silicon Luxembourg, mars 2020