Le 3 avril 2016, paraissaient les premières enquêtes et révélations dites des Panama Papers. Publiées dans le monde entier, elles mettent en lumière des activités illégales (évasion fiscale, vols, recels, chaînes de Ponzi…) et criminelles (pédophilie, trafics d’armes et de drogue, meurtres…).
Ces dernières se sont déroulées entre 1977 et 2015 dans 202 pays. Elles reposaient sur le montage de structures, dont beaucoup ont servi de sociétés-écrans.
Pour des raisons fiscales généralement, ces entités étaient enregistrées dans des juridictions extraterritoriales (dites « offshore »), mais n’y exerçaient aucune activité économique et leur propriétaire n’y résidait pas. Leur existence n’émargeait dans aucun registre du commerce et des sociétés du pays.
Plus de 214.000 sociétés de ce type ont ainsi été mises à jour. Parmi les milliers de propriétaires ou de bénéficiaires figuraient des personnalités politiques, du monde des affaires, du sport et du spectacle, impliquées dans ces opérations illégales ou criminelles.
Parmi elles, 12 chefs d’État (les premiers ministres islandais, argentins et pakistanais) et des proches de dirigeants politiques, ou encore Lionel Messi, Michel Platini, Pedro Almodovar, Jackie Chan…
Les données à l’origine de ces enquêtes et de ces révélations ont été dérobées à Mossack Fonseca, un cabinet d’avocats basé au Panama et spécialisé dans le montage de sociétés. Pour cette raison, le nom de Panama Papers leur a été attribué.

Ces documents ont été communiqués par un lanceur d’alerte – qui se fait appeler « John Doe » – à deux journalistes du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, Bastian Obermayer et Frederik Obermaier. Le volume de cette fuite a été estimé à 11,5 millions de documents, soit 2.600 gigaoctets de données numériques.
Face à cette quantité massive d’informations, les deux journalistes ont fait appel à l’ICIJ, le Consortium International des Journalistes d’Investigation basé à Washington.
Ensemble, avec plusieurs centaines de journalistes, ce dernier a travaillé pendant environ un an à explorer et exploiter ces données, puis à enquêter, avant de publier les premières révélations.
Au regard de ces faits, les «Panama Papers semblent marquer une étape décisive dans l’histoire du journalisme d’investigation.
De par l’ampleur de la fuite : celle-ci dépasse en volume les précédents « leaks », tels que le « Cablegate » (ou « Wikileaks », 2010, 251.287 télégrammes, 1,7 gigaoctet), les « Offshore Leaks » (2013, 2,5 millions de documents, 260 gigaoctets), les « Lux Leaks » (2014, 28.000 pages de documents, 4,4 gigaoctets de données), ou encore les « Swiss Leaks » (2015, 60.000 documents, 3,3 gigaoctets). Ils excèdent même en volume de données numériques les « Paradise Papers » (2017, 13,5 millions de documents, 1.400 gigaoctets).
Ensuite, de par le retentissement et l’impact suscités par ces enquêtes et révélations dans le monde. À plusieurs reprises, les opinions publiques ont manifesté dans les rues et exprimé leur indignation, comme en Islande ou en Argentine.
Egalement, de par les conséquences engendrées, dans de nombreux pays et au niveau international : démissions de personnalités politiques et économiques de premier plan, enquêtes fiscales et judiciaires, récupérations de biens dissimulés, recouvrements fiscaux, renforcement et adaptation des arsenaux législatifs…
Et enfin, de par le travail journalistique effectué, qui a mobilisé 378 journalistes, de 108 médias et de 76 pays.
À ce titre, les Panama Papers sont considérés comme le plus grand projet de journalisme d’investigation international jamais traité.
Pour mener à bien celui-ci, l’ICIJ a dû mettre en place des modes opératoires spécifiques : pour traiter ce volume de données massives, faire travailler tous ces confrères ensemble, et réaliser ces enquêtes et publications.
Il a dû également opérer des choix journalistiques particuliers : pour les enquêtes, la rédaction, puis la publication de ces révélations.
De très nombreux médias ont majoritairement et largement loué le travail accompli par l’ICIJ et par les journalistes, à partir de ce volume massif de données numériques.
Certains ont vu dans ce projet « un tournant du journalisme d’investigation ». D’autres l’ont même qualifié de « Watergate du 21ème siècle ».
Dans ce contexte, quels modes opératoires et choix journalistiques l’ICIJ et les journalistes partenaires ont-ils adoptés pour mener à bien ce projet ?
Ceux-ci marquent-ils l’émergence de pratiques professionnelles et journalistiques nouvelles ? Ou bien ancrent-ils de manière durable des savoir-faire et des compétences déjà existant ?
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